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Passage n°3 ⛰️ Le loup, révélateur de notre rapport au sauvage
De l'ami de l'homo sapiens aux peurs collectives, comment le loup symbolise notre rapport (problématique) au sauvage ?
Les loups bondirent sur lui tous ensemble.
Le garçon crut qu'ils lui faisaient fête.
Les loups bondirent sur lui tous ensemble, et le mangèrent.
J’ai commencé 2024 avec la découverte de la trilogie de documentaires réalisés par Jean-Michel Bertrand sur les loups.
J’y ai d’abord découvert un homme passionné et sauvage qui se balade par vents et marées dans sa montagne, le Champsaur. Un homme qui part à la rencontre de la première meute installée en France depuis leur disparition dans les années 1930 (dûe à une chasse intensive par l’homme).
Contrairement aux Lynx et aux Ours (les 2 autres espèces “grands prédateurs” en France - au coeur de programmes de réintroduction), les loups sont revenus naturellement par l’Italie, où ils n’ont jamais disparu.
Nous suivons donc Jean-Michel Bertrand dans sa quête, bivouaquant en plein hiver sans feu pour ne pas effrayer les animaux, ou pissant un peu partout pour “marquer son territoire” et faire connaître sa présence à la meute.
Au-delà de la rencontre avec les loups, ces docus nous emmènent à la rencontre du sauvage, que l’on a trop laissé vivre dans les marges, dans les recoins restants de notre société. Le docu montre à voir le débat enflammé et incessant POUR / CONTRE les loups. La rage des éleveurs, la douleur des bergers qui perdent leurs agneaux, les chasseurs qui considèrent que les loups sont leurs concurrents.
Bref, j’en ai déjà trop dit. Mais voilà ce qui a enclenché ma réflexion.
Pourquoi l’être humain a éradiqué le loup ? Le loup a-t-il toujours été notre ennemi ?
Pourquoi est-il si mal représenté dans notre imaginaire culturel ?
En quoi ça révèle notre rapport problématique au sauvage ?
Et je vous conseille avant tout d’aller visionner cette trilogie.
Aux aurores de notre Histoire : l’ami de l’homo sapiens
Le loup n’a pas toujours été considéré comme une espèce dangereuse. Le loup est d’ailleurs la première espèce domestiqué, il y a plus de 10 000 ans soit bien avant les bovins et ovins du sédentarisme et de l’agriculture.
Les recherches archéologiques ont démontré que les hommes et les loups étaient plutôt complices et complémentaires pour faire face à des dangers communs bien plus grands, comme le hyène ou le lion. Ainsi, les loups utilisaient les restes des repas des chasseurs cueilleurs, tandis que les homos sapiens bénéficiaient de leur meilleur ouïe, odorat et vue : le loup donnait l’alerte en cas de danger.
C’est une hypothèse sérieuse qui en a démonté une autre qui subsistait depuis longtemps : on considérait que l’homme avait domestiqué le loup pour en faire son auxiliaire de chasse (à l’image des chiens de chasse aujourd’hui).
Oh tiens, ça me fait penser aux années d’études archélogiques biaisées des années 1950.
Si tu ne vois pas à quoi je fais référence, je te conseille d'aller lire "Les grandes oubliées" de Titiou Lecoq.
En réalité, ce rapport de bénéfices réciproques renforce plutôt un concept d’auto-domestication.
C’est la domestication du loup qui donnera plus tard lieu aux 400 espèces de chiens que nous connaissons aujourd’hui. L’homme a petit à petit sélectionné les chiens les plus dociles pour les reproduire. Et oui, il n’y a pas que les animaux d’élevage qu’on sélectionne et transforme génétiquement (poke les vaches sans cornes).
Il est d’ailleurs assez étonnant de se dire qu’aujourd’hui, les descendants des prédateurs (les chiens) protègent les descendants des proies (chèvres, brebis).
La fin de la glaciation marque la naissance du sédentarisme, de l’agriculture et du pastoralisme. Spoiler alert: c’est là que tout dégringole (et c’est aussi là que les dernières recherches montrent que l’inégalité homme/femme serait apparue, tiens donc).
Naissent les concepts de propriété, de consommation et l’homme se retire petit à petit du monde naturel pour produire des biens… Au détriment de la faune et de la flore.
Pour clarifier : le loup devient l’ennemi de l’homme le jour où l’homme décide de s’approprier l’ensemble des “biens” naturels et vivants dont la nourriture des loups comme les cervidés et les ovins.
En ce sens, on peut presque considérer l’homme comme une “espèce invasive” 😉 (je reprends les dires de l’éthologue et biologiste Jean-Marc Landry).
Les contes et l’imaginaire culturel
Les sociologues et autres experts SHS ne le diront jamais assez : la culture FAIT notre pensée. Du moins, elle la façonne largement. Le loup n’y a pas échappé.
Les contes alimentent les peurs collectives. On rend le loup rusé, fourbe, cruel et surtout amateur de chaîr fraiche - c’est pas moi qui le dit, mais l’historien Michel Pastoureau.
La bête du Gévaudan
Nous connaissons toustes l’histoire du petit chaperon rouge ou des trois petits cochons. Connaissez-vous celle de la bête du Gévaudan ? Du moins comment cette légende est née ? Ce qu’on en sait aujourd’hui ?
Entre 1764 et 1767, une énorme bête attaque des jeunes filles en Lozère. Selon les témoignages, la bête ressemblerait à un gros loup. On raconte que les balles ne semblent pas pénétrer son corps.
Chose étrange : ses victimes sont principalement de jeunes filles retrouvées dénudées et dans des postures dites obscènes.
Ah tiens donc ? Un loup vraiment ? - l’obscénité de la cruauté humaine et misogyne oui (pardon, ça c’est un aparté concernant mon avis perso).
L’affaire remonte même jusqu’à Louis XV qui envoie des soldats pour abattre plusieurs loups mais l’affaire continue. En 1967, un homme tue un loup redoutable et l’affaire semble close. Le hic dans cette histoire, c’est que cet homme a mauvaise réputation : on le pense sorcier. Il ne sera pas remercié par le roi ni même fêté par ses comparses. C’est comme ça que termine l’histoire de la bête du Gévaudan. Deux siècles plus tard, le mystère reste entier.
Je ne sais pas vous, mais moi je trouve que ça en dit beaucoup sur notre humanité.
N’en déplaise aux mascu : le mâle alpha n’existe pas
Si la théorie du mâle alpha (et bêta) semble encore présente aujourd’hui ; il semblerait qu’elle prenait racine sur une mauvaise analyse éthologique du fonctionnement des loups (poke Tom 😉 ).
Pourquoi parler de meute ? J’ai appris dans ce podcast que le mot “meute” vient de l’ancien français « groupe de chiens courants dressés pour la chasse » (soit les descendants des loups).
En réalité, les meutes de loups sont simplement des familles. La meute s’organise autour d’un “couple reproducteur” (les parents) et de leurs enfants : louveteaux et louvards (les ados).
Quand il n’y a plus assez de proies pour nourrir la famille, un jeune loup doit se retirer de la meute pour créer sa propre famille. Il part donc à la recherche d’un nouveau territoire et d’un·e compagnon·ne pour se reproduire. Cela peut durer de quelques jours à plusieurs mois. C’est pourquoi on a déjà vu des loups parcourir des milliers de kms (on a retrouvé un loup slovène en Italie !). Il peut même arriver qu’un jeune loup se fasse “adopter” par une autre famille.
Le loup, révélateur de notre rapport au sauvage
J’en parlais juste avant : quand il n’y a plus assez de nourriture pour une famille, un jeune loup doit quitter sa meute et le territoire.
C’est le principe d’auto-régulation. Tous les grands prédateurs fonctionnent de cette manière. On ne peut donc pas dire que les loups vont se reproduire à foison et valider le principe de devoir “réguler” (= tuer) les loups. Par contre, oui, il faut apprendre à vivre avec eux ; car les pâturages sont des proies faciles pour eux.
Le phénomène de cascade trophique et l’exemple de Yellowstone
Je l’ai dit juste avant : les ressources limitent les populations. Et, dans le vivant, absolument tout est interconnecté.
Maintenant que nous avons établi ça; nous comprenons que la disparition des grands prédateurs d’un territoire a un impact direct sur son écosystème.
Les cervidés n’ayant plus de prédateurs, ils se reproduisent sans limite. Ces cervidés se nourrissent essentiellement de petits bois. Leur surpopulation déséquilibre ce bois qui disparaît petit à petit. Or ce bois est l’habitat de nombreux oiseaux et insectes, qui disparaissent également.
Vous voyez l’idée ? (la cascade trophique)
En 1995, des loups gris sont réinsérés dans le parc de Yellowstone. Les études d’aujourd’hui montrent que cette réinsertion a largement profité à la biodiversité en régulant la population des cervidés, cela a permis la regénération de la forêt et le retour des habitants avec.
Une étude française de Jean-Louis Matin a même montré qu’en l’absence de prédateur des cervidés, 90% des sous-bois disparaît.
Chaque espèce est un rouage de notre biodiversité, les grands prédateurs y compris.
Cette réflexion me mène encore et toujours au même questionnement : comment réhabiliter notre rapport au sauvage ? Qu’il s’agisse de toute la littérature écoféministe, du philosophe Olivier Remaud qui parle de “géosolidarité”, de l’autre philosophe Baptiste Morizot de “crise de la sensibilité”, du concept "d’habiter colonial”, nous nous devons de reculer ; et réinstaurer une relation.
Une relation aux animaux non-humains, du moins domestiqué au plus domestiqué. D’ailleurs, je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse depuis que j’apprends à créer des connexions avec elleux. Avec mon chat oui c’est sûr. Mais aussi avec une vache dans un pré, prendre le temps de la rencontrer, s’asseoir, se regarder. Avec toutes celles et ceux qui nous entourent, de loin ou de près.
Je vous le conseille, ça fait du bien cet émerveillement du vivant, et ça reste tout aussi concret que le militantisme politique.
PS: comme d’habitude, je touche à plusieurs sous-sujets autour du loup qui mériteraient de bien plus amples explications. Et j’en reste frustrée !
PS 2 : je parle d’homme et évite le genre neutre et l’écriture inclusive, parce que nous savons que le virilisme est à la source de nombreuses violences dans le monde et dans notre Histoire. C’est donc voulu.
Si vous souhaitez creuser le sujet, je vous recommande très chaudement de :
Visionner les 3 documentaires de Jean-Michel Bertrand : La vallée des loups, Marche avec les loups, Vivre avec les loups
Ecouter l’excellente série Mécaniques du vivant sur France Culture
Retrouver toutes les infos sur les loups, les lynx et les ours sur le site de l’association Férus
Mon tips
Vous avez été plusieurs à me le demander, et ça tombe bien car je viens de préparer un petit google sheet pour une prochaine sortie trek que j’organise avec les meufs de l’asso Pyr’elles.
Attention, chacun·e a ses petites habitudes alors libre à vous de l’adapter selon ce que vous préférez ! A savoir qu’un sac à dos ne doit jamais dépasser 15 à 20% de votre poids.
Randonnées à faire
Pour celleux qui me suivent sur Instagram, peut-être avez-vous vu ma petite aventure dans les Bauges ? C’était un stage de préparation au probatoire, pour accéder à la formation DE Alpinisme - Accompagnateurice moyenne montagne. Et bien, c’est pas du gâteau.
Mais au lieu de vous raconter (encore) ma vie, je vous conseille vivement d’aller découvrir ce massif qui surplombe le lac du Bourget et donne vue sur les massifs de Belledonne et des Ecrins, encore enneigés.
Je n’ai pas fait de randonnée à proprement parler vu que nous avons passé la semaine à exercer hors sentier et dans le rush, mais je sais que le coin du Revard est très jolie, et je ne doute pas que vous trouverez de jolies randos à faire sur Visorando, Alltrails ou Altitude-rando 🙂
Vous avez des demandes spécifiques par rapport aux randonnées ? Selon votre niveau, vos envies ou une région géographique ? N’hésitez pas à me demander 🙂
Mes dernières ressources
A écouter :
Le pacte du loup - Les baladeurs
Immense récit d’une rencontre douce et lente avec un loup. L’apprivoisement des deux côtés. Un bivouac enneigé. Une carcasse. Des rapaces. Et le grand loup d’Alaska. J’en ai eu les larmes aux yeux
Quand le voyage rencontre la Grande Histoire, avec Eric Delcasso
Un récit d’Eric (par ailleurs guide en vallée d’Aure, bonjour à toi si tu me lis 😉 ) sur ses voyages à l’étranger et à quel point il a rencontré l’histoire géopolitique, un peu par hasard. On voyage, autant géographiquement qu’historiquement en l’écoutant.
A lire :
Je pleure encore la beauté du monde - Charlotte McConaghy
C’est certainement un peu trop tôt pour en parler car je viens de le débuter mais j’aime déjà beaucoup. (Merci à Camille pour la reco !)
Contes et légendes des Pyrénées
Merci à Masha pour m’avoir envoyé le conte de Cerdagne cité au tout début de cette news 🙂
Comme d’habitude, n’hésitez pas à me faire vos retours sur cette édition ici ou par mail ; ça me fait toujours plaisir de vous lire.
Et si le contenu t’a plu, le partager aussi c’est chouette :)
Joyeuse journée ou soirée à toi,
Laura
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