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Passage n°4 ⛰️ La nuit en montagne
Que dit la pollution lumineuse de notre rapport à la nuit ?

Quelle est ta relation à la nuit ?
Comment définirais-tu la nuit ? Avec tes mots, tes émotions, tes souvenirs ?
De mon côté, lorsque je pense à la nuit, j’ai beaucoup de choses qui me viennent.
D’abord, les nuits d’insomnies pleines de ruminations et d’angoisses. Ces nuits qui me nouent l’estomac et me font me retourner sans cesse dans mon lit jusqu’à épuisement. La nuit est un temps long, distendu et oppressant.
Mais surtout, les nuits d’été dans mon enfance. Alors que la chaleur se faisait plus douce, nous sortions dans notre jardin, nous nous asseyions en silence, pour regarder les étoiles et écouter les grillons. Il y avait une sorte de magie dans ces moments, j’en garde un tendre souvenir. Je me sentais bien et à ma place.
C’est aussi des souvenirs de retour de clubs techno tardifs à Paris. Je rentrais dans la cour intérieure de mon immeuble et je levais les yeux : jaune. La nuit était jaune. Pas une once d’étoile. Juste un voile jaune. Ça me rendait toujours triste. Paris, c’était le manque d’horizon mais aussi le manque de la nuit. Lors de ma période de vie parisienne, quand je rentrais voir mes parents et que je voyais les étoiles par une nuit dégagée, alors les larmes coulaient toutes seules sur mes joues.
Chaque année, chaque mois d’août, celui de mon anniversaire qui revêt toujours un moment particulier pour moi, nous partons à la recherche des étoiles filantes. De cette pluie de vœux que je cherche à faire, dans mon cœur d’enfant qui espère. L’année dernière, nous étions 4, allongé⸱es dans un champs, et nous espérions.
Je me souviens aussi, plus récemment, m’être réveillée dans ma tente à l’étang d’Arraing en Ariège. J’entendais mes ami⸱es chuchoter près de ma tente. J’en sors, curieuse. Il était 1h du matin, et la voie lactée était si claire cette nuit-là que j’en fus époustouflée. Nous avons observé longuement, peut-être une demi-heure, tous les trois en silence, debout, la tête tournée vers le ciel. C’était magnifique.
Nul ne connaît totalement la montagne à moins d’y avoir dormi.
Cette citation de Nan résonne en moi. Je n’ai jamais aussi bien dormi que dans ma petite tente de trek 1 place, en plein milieu de la montagne.
C’est le comble du bonheur pour une insomniaque avec troubles de l’anxiété comme moi.
C’était une longue introduction, je sais. Une longue introduction égocentrée mais je voulais vous faire comprendre comment la nuit réveille quelque-chose de particulier en moi, en nous ? J’espère que vous aussi vous creuserez assez pour y trouver votre relation à la nuit.
Car la nuit, la vie est plus douce, calme, lente, et nous permet d’être plus attentif⸱ve au monde qui nous entoure, à se fondre dans la nature, à réveiller en nous l’être sauvage que nous sommes.
La montagne, premier lieu de paysages nocturnes
La montagne, comme la nuit, est longtemps restée en marge de nos sociétés, par sa difficulté d’accès et le symbole de dangerosité qu’elle représentait.
Mais petit à petit, la montagne s’est faite colonisée par les premières ascensions, tout comme la nuit où les activités nocturnes se développent notamment grâce à l’utilisation des premiers éclairages publics.
La montagne est le meilleur endroit pour observer les étoiles, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les montagnes restent des îlots de nature sauvage devenus trop rares sur notre Terre. Le territoire montagneux est mieux protégé de la pollution lumineuse. La nuit y est donc plus naturelle.
De plus, avec l’altitude, la pression atmosphérique est moins importante. Ce qui a pour conséquence une atmosphère moins chargée en particule, et donc un ciel plus clair et plus net pour l’observation des étoiles.
C’est pour cette raison toute simple que la plupart des observatoires astronomiques et scientifiques se situent en altitude, à l’image de l’Observatoire du Sphinx situé à 3 572m dans les Alpes suisses.
C’est aussi pour ça que j’ai décidé de parler de la nuit, en montagne. Au-delà de son expérience méditatif et philosophique fort que je relate dans mon introduction, la montagne est le lieu propice à l’observation de la vie nocturne, sur Terre et dans l’espace.
Les contrastes de lumière en altitude sont bien plus intenses que dans la vallée, me fait remarquer le scientifique. L’air est si pur que les trois dimensions des paysages d’altitude sont marquées comme nulle part ailleurs. Là-haut, on vit cette profondeur de l’espace, qu’on n’observe certainement que dans la montagne, grâce aux grandes distances et à la pureté de l’atmosphère, lavée de toute humidité et poussière. On a ici un autre regard sur le monde, on se sent si petit tant tout est si grand.
Economisation environnementale des paysages nocturnes
Et c’est également pour cette raison que sont nées les initiatives de conservation de certains paysages nocturnes, à l’initiative de l’International Dark-Sky Association (IDA) qui crée le concept de Réserve international de ciel étoilé (RICE) en 2000.
Le bien-connu observatoire du Pic du Midi est l’un d’entre eux depuis 2013, menant un accord de gestion de la pollution lumineuse au cœur de ce territoire ainsi qu’à sa périphérie intégrant les collectivités locales.
Mais les chercheurs notent assez rapidement que ce label RICE mène à une économisation du territoire. D’abord parce que ce label impose aux collectivités de revoir leur plan d’éclairage et donc participe à l’économie croissante du marché de l’énergie et de l’éclairage public. Ensuite parce que ces territoires labellisés profitent largement du bénéfice touristique (le “dark sky tourism”). C’est ce qu’on appelle l’économisation de l’environnement, dans une logique purement anthropocentrée.
On voit d’ailleurs très clairement cette logique économique très forte à l’image de l’observatoire du Pic du Midi, il faut au minimum débourser 50€ pour utiliser le téléphérique et 200€ pour une nuit là-haut.
Et je cite Samuel Challéat de Sauver la nuit : “Il ne faut jamais sous-estimer la capacité du capitalisme à récupérer les solutions mises en œuvre pour répondre à des problèmes qu’il a lui-même générés.” 🙂
L’impact de la pollution lumineuse sur notre santé et la biodiversité mondiale
Ok, j’ai un peu mis la charrue avant les bœufs. Oui, si le label RICE a été créé, c’est qu’on a noté une pollution lumineuse grandissante à travers le monde.
En 2016, un atlas mondial est édité pour la première fois afin de comprendre la place de la pollution lumineuse dans le monde. On comprend alors que 83% de la population mondiale (et plus de 99% de la population états-unienne et européenne) vivent sous un ciel entaché de pollution lumineuse.
En France, on note 11 millions de lampadaires et 3.5 millions d’enseignes lumineuses, la production de lumière artificielle a quasiment doublé en 20 ans (+94%).
Et cela a un réel impact à la fois sur notre santé et sur celle des animaux. La pollution lumineuse est une affaire à la fois sanitaire et environnementale.
La santé humaine impactée
Le premier repère de notre horloge biologique interne est l’alternance du jour et de la nuit (ou plutôt de la lumière naturelle et de l’obscurité). Si nous sommes exposés à de la lumière artificielle nuit et jour (comme 84% de la population mondiale donc), alors ce rythme circadien est perturbée. Cette exposition dérègle notamment l’hormone principale dans le sommeil : la mélatonine.
Les conséquences sur notre santé humaine ? Le stress, la diminution de la qualité du sommeil, la fatigue, l’irritabilité, les troubles de l’appétit et des dernières recherches montrent des relations avec certains cancers ou maladies cardio-vasculaires.
La biodiversité impactée
De même, de nombreuses recherches ont démontré l’impact direct et durable de la lumière artificielle sur la biodiversité, et ce de différentes manières :
Certaines espèces animales sont attirées par la lumière et restent collées aux lampadaires jusqu’à épuisement, causant une surmortalité
D’autres au contraire sont repoussées par les sources lumineuses. Cela les mène à fuir et déserter certaines niches écologiques, ce qui mène à un appauvrissement de la biodiversité sur les territoires concernés.
Les oiseaux migrateurs sont également désorientés par la forte luminosité des villes, et mènent régulièrement à des accidents d’oiseaux frappant de plein fouet une barre d’immeuble par exemple.
Enfin, la pollution lumineuse perturbe la reproduction, l’alimentation, les déplacements et la communication de nombreuses espèces.
C’est évidemment aussi le cas des espèces florales : on note un dérèglement des cycles de croissances et des périodes de floraison.
💡 28% des vertébrés et 64% des invertébrés sont nocturnes
Notre rapport à la Nuit
Dans notre imaginaire collectif, la nuit est soit source de peurs irrationnelles et/ou enfantines qui perdurent jusqu’à l’âge adulte, peuplé de monstres et d’angoisses.
La nuit, c’est aussi le lieu de la fête, c’est “braver des interdits et contraintes sociales d’un jour trop transparent”. La nuit, on se permet plus.
Mais quelle est la nuit en montagne ? L’occasion de se reconnecter. La nuit, la vue que l’on sur-investit perd de sa puissance et nos autres sens s’éveillent. Place à l’émerveillement des sons, le frisson du vent, la douceur d’une nuit d’été.
“L’émerveillement est une émotion tout à la fois morale, spirituelle et esthétique. Une émotion dont nous avons besoin.”
Je prône (et je ne suis pas la seule) l’importance du rapport direct à la nature dans la construction de notre identité, et la nuit y a une place plus qu’indispensable. Sans rapport expérientiel à la nature, il n’y a pas de conscience environnementale et collective, menant à la protection de la nature et sa biodiversité. On note des concepts comme “l’amnésie environnementale générationnelle”, ou le “syndrome de perte de référence”, ou encore “l’extinction de l’expérience de nature”.
“En fermant la seule fenêtre que nous avons sur le ciel étoilé, la pollution lumineuse raréfie nos opportunités de relation visuelle directe avec cette inépuisable ressource historique, littéraire, philosophique, religieuse, paysagère ou encore artistique qui participe de notre individuation, de la constitution de notre être, de notre rapport à l’Autre et au monde vivant.”
Opter pour une “posture observante”, militer pour un “droit à l’obscurité”, c’est “affirmer une volonté profonde de redéfinir l’espace de vie nocturne qu’une société accepte de mettre en commun avec le vivant non humain.”
Se reconnecter avec le cosmos
Les étoiles racontent tant l’histoire de l’Univers que la nôtre. Tout ce qui existe est lié à elles. Tant qu’il y aura des nébuleuses de gaz dans l’Univers, elles continueront à s’allumer. Et le jour venu où elles s’éteindront toutes, le monde arrivera à sa fin. Alors, à force de lumière artificielle, vouloir éteindre la vue des étoiles depuis la Terre, n’est-ce pas déjà une sorte de fin en soi ?
Je crois qu’on l’oublie souvent tant la notion est nébuleuse et difficile à intégrer dans notre cerveau d’être humain. Pourtant, les étoiles que nous voyons le soir, sont autant de soleil qui nous ont permis la naissance de la Terre puis l’arrivée de la vie sur Terre. C’est le cosmos et la connaissance de la géologie qui nous amène aussi à prendre conscience de notre place d’être humain. A nous préoccuper de “géosolidarité” comme le dit si bien Olivier Remaud dans Quand les montagnes dansent.
Et je rajoute cette réflexion à celle d’Olivier Las Vergnas, de l’Association française d’astronomie et cité par Samuel Challéat dans Sauver la nuit : “Si nous ne pouvons plus voir les constellations, la Voie lactée, les étoiles filantes, et y projeter notre imaginaire et notre humanité, comment pourrons-nous encore imaginer, rêver et penser notre place dans l’univers ? Allons-nous finir par penser de nouveau que nous en sommes le centre ? A moins que ça ne soit déjà le cas…”
Si nous voulons garder sereinement les pieds sur Terre et continuer à développer notre empathie et mieux comprendre notre rôle, continuons de lever la tête vers le ciel et défendre notre accès aux étoiles.
Cette édition a été particulièrement difficile à écrire. D’abord parce que la nuit, c’est un grand sujet. Elle évoque beaucoup de choses à la fois philosophiques, morales, économiques, environnementales et sociales. Alors je m’excuse si parfois la réflexion ne semble pas assez poussée. Encore une fois, je vous invite à vous reporter aux ressources sur lesquelles j’ai basé mon écriture. Ou n’hésitez pas à m’écrire pour me faire part de votre connaissance, vos réflexions ou vos réactions suite à cette lecture : j’en serais ravie !
En résumé, ce que je voulais faire passer c’est ce besoin toujours plus pressant de se reconnecter à la nuit, élément indispensable pour comprendre la nature qui nous entoure et qui nous sommes.
Des bisous, et à tout bientôt,
Laura
Ressources :
Sauver la nuit, Comment l’obscurité disparaît, ce que sa disparition fait au vivant, et comment la reconquérir ****- Samuel Challéat
« L’environnement nocturne dans les territoires de montagne français, ressource et opérateur de transition vers la durabilité », Journal of Alpine Research | Revue de géographie alpine, Samuel Challéat, Dany Lapostolle et Johan Milian
“La protection de la nuit d’un haut lieu touristique de montagne : la Réserve internationale de ciel étoilé du Pic du Midi comme nouvelle ressource territoriale”, Rémi Bénos, Samuel Challéat, Dany Lapostolle, Pierre-Olivier Dupuy, Thomas Poméon, et al..
Impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité. Synthèse bibliographique, Jean-Philippe Siblet
« Lumière artificielle nocturne et pollution lumineuse : une synthèse des effets sur les rythmes biologiques chez l’homme », Environnement, Risques & Santé, vol. 18, no. 6, 2019, pp. 477-487, Tossa, Paul, et Martine Souques.
Deux podcasts à écouter 🙂
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