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Passage n°6 ⛰️ Tourisme en montagne : connexion ou consommation

Les dérives du tourisme en montagne et comment envisager des alternatives durables

J’ai foulé les sentiers de montagne assez tôt dans ma vie. D’abord, par l’intermédiaire des pieds de mon père qui me portait sur son dos; et puis très vite, j’ai gambadé, parfois chancelante au milieu de cette nature étincelante.

J’aime à rappeler une anecdote que ma mère m’a racontée une fois : “à 3 ans, tu marchais déjà mieux que ta soeur”, soeur qui avait donc 8 ans et qui grognait devant les randos imposées par mes parents.

Je suis issue d’une famille de classe moyenne dans une zone mi-rurale mi-industrielle entre Nantes et Cholet. Et chaque année, mes parents emmenaient ses 3 enfants à la montagne. D’abord les Alpes, puis quand l’autoroute a permis de raccourcir le temps de trajet, jusque dans les Pyrénées. Parfois la Dordogne, les Cévennes, l’Auvergne, mais surtout les montagnes, les “vraies” grandes montagnes.

Moi-même âgée de 3 ans, à la Bérarde (village alpin victime d’une catastrophe climatique en juin 2024)

D’abord, nous partions avec la Renault 25 chargée d’une remorque à l’arrière. On a commencé par la tente canadienne sur le terrain nu d’un camping municipal, puis un petit bungalow, puis le mobil-home. Et enfin, le gîte.

Au fil des années, mes parents ont suivi l’évolution de toutes classes moyennes de l’époque : plus de pouvoir d’achat, une montée dans la classe sociale et un standing de vacances qui évolue au fil des années.

De même, tous les 2 à 3 ans, nos parents s’offraient la possibilité d’une semaine de vacances l’hiver, grâce aux possibilités de logement via le CE de leur entreprise. Bien sûr, cette semaine était dédiée au ski alpin. Puis petit à petit, grandissant, nous avons délaissé le ski alpin pour les raquettes, par pur désintérêt pour le ski alpin je crois.

Mon père m’a appris l’art de randonnée, il me disait “fais les plus petits pas possibles, économise toi”. Il m’a appris la lenteur et les logiques de sport d’endurance qui me serviront bien des années plus tard. Le temps long de la randonnée.

Aujourd’hui, je continue de prôner cette approche de la montagne.

Mais il y a un impensé dans ce récit.

Car, finalement, mon premier rôle vis à vis de la montagne est celui de touriste. C’est le tourisme qui m’a permis de découvrir la montagne. Même si depuis, j’ai déménagé à Toulouse pour me rapprocher des Pyrénées et je ne me considère plus comme touriste lorsque je vais dans les vallées ariégeoises… Mais je fais partie de celleux qui ont consommé, consomment ou consommeront la montagne par l’intermédiaire des pratiques “outdoor”.

Comment le tourisme a colonisé les territoires de montagne, et quels impacts ? Comment dépasser ces visions, mieux comprendre nos rôles et le futur de nos territoires de montagne ?

Comment la montagne est devenu un produit de consommation

Longtemps la montagne est restée inaccessible et inquiétante. Elle n’était traversée que par les armées ou par les marchands. C’est un territoire exigeant, avec des conditions phyiques et climatiques importantes.

Elle a même fait l’objet de nombreux récits populaires qui ont contribué à cette image de montagne menaçante, de mauvais esprits, de monstres en tous genres.

Elle n’a cependant jamais été inhabitée. Les populations locales ont développé des techniques agropastorales adaptée au terrain : terrassement, irrigation, remues, etc. C’est au niveau des 18e et 19e siècles qu’on voit s’opérer de grands changements : l’arrivée d’une logique marchande, et des aristocrates.

Le basculement de l’agriculture vers le tourisme : un abandon forcé des racines

Le 18e siècle a d’abord vu l’arrivée de l’industrie dans les vallées. Ces nouveautés ont converti les paysans de subsistance en salariés. On passe d’une logique d’agriculture vivrière à une logique de salariés qui attend sa paie pour acheter de quoi manger.

L’alpinisme est arrivé à peu près en même temps par l’intermédiaire des aristocrates anglais (Alpine Club) mais aussi la volonté de développer le thermalisme et des centres pour tuberculeux. Je ne remettrai pas une couche sur le côté distinction sociale très forte de ces premières activités, mais ce premier tourisme concerne des populations aisées et privélégiées.

Une nouvelle économie se met en place au sein de nos montagnes.

Durant cette période, un mouvement parallèle nommé « exode rural » contribue à la dépopulation progressive de ces mêmes territoires, parachevé, dans les années 1960, par la déprise agropastorale qui entérine le remplacement de l'économie agropastorale par celle du tourisme.

L'essor du ski et du tourisme de masse : la montagne devenue “terrain de jeu”

La première saison de montagne est d’abord estivale. Puis après la Seconde Guerre mondiale, le ski alpin se développe. Une deuxième saison devient économiquement viable pour les villages montagnards : l’hiver. Les premières stations de ski “de première génération” apparaissent.

C’est dans les années 1960 que se développe véritablement le tourisme de masse, avec le “Plan Neige” et la construction de villes-station de ski.

Dans cette période de croissance économique qui voit l'enrichissement relatif des classes moyennes et le développement de la consommation, le tourisme devient à la fois un secteur économique majeur mais également un produit de consommation qui nécessite de multiplier les infrastructures d'accueil et de produire des équipements pour la pratique sportive, devenue un critère de bien–être.

Et le tourisme devient un objet de distinction, élément que je développe dans mon édition n°2 sur la montagne excluante.

Le tourisme de montagne devient de moins en moins accessible et mènent à une consommation pure et dure du “produit montagne”.

Si la clientèle s'est diversifiée socialement, avec des modèles de pratiques touristiques et sportives analogues, le tourisme reste, surtout depuis les années 1990, un secteur où la séparation entre les catégories sociales est réelle si elle ne semble pas toujours apparente. Les centres sociaux de loisirs connaissent des difficultés très fortes qui vont de pair avec le renchérissement des séjours de sports d'hiver et la réglementation draconienne en termes de responsabilités vis-à-vis de la sécurité. Ils sont dorénavant transformés et vendus en logements. La ségrégation se marque par le prix de l'immobilier, des activités, la nature et le cadre même où s'effectuent ces activités. Ainsi le ski est-il redevenu le sport de luxe qu'il était dans les années 1920-1930. Les stations qui veulent se réserver la clientèle internationale économiquement élitaire accentuent le prix de leurs prestations et organisent leur immobilier et leurs commerces pour sélectionner cette clientèle.

De plus, ce modèle de station de ski répond exactement au besoin d’ “hypermodernité” émergent dès les années 1960 et à son apogée dans les années 1980-2000. On définit l’hypermodernité comme “une forme de radicalisation de la logique individualiste chère à la modernité par l’extension du modèle de la consommation à l’ensemble du corps social” (Auber; Lipvetsky et Charles, 2004 cité par xxx dans xxx).

La station de ski symbolise bien le nouveau modèle économique mondialisé d’hyperconsommation. Olivier Bessy, sociologue du sport des loisirs et du tourisme, y voit 2 approches dans la construction des grands domaines : la domination de la nature qui vise à maîtriser la météo, les avalanches ou l’absence de neige ; et de l’autre un aménagement expansif pour accueillir un maximum de clients.

Fin du ski et transition : mais de quelle transition on parle ?

Pourtant, dès 1977 dans son discours de Vallouise, le président Giscard d’Estaing appelait à revenir en arrière avec un tourisme qui permettrait de “protéger les sites et paysages de montagne”. Pendant les 60 années suivantes, les associations et acteurices locaux ont tenté de remettre en cause la mono-activité du ski destinée à des touristes étrangers et riches, sans succès.

Le réchauffement climatique aidant, les premières stations de ski ont commercé à fermer avec le manque d’enneigement, principalement en moyenne montagne. Depuis plusieurs années déjà, on parle de “transition”. Pourtant, les acteurices du tourisme hivernal peinent à se remettre en question alors même que la crise du covid a mis en évidence des problèmes importants :

  • Pas de présence de clientèle locale ou régionale (mais principalement internationale)

  • Une dépendance excessive au tourisme menant à des territoires vulnérables économiquement

  • La surenchère de sophistication et d’expériences toujours plus spectaculaires proposées aux touristes des dernières décennies renforce le besoin de plaisirs plus simples comme marcher dans la nature

Mais alors, pourquoi on ne cède pas à l’industrie du ski ? Philippe Bourdeau, enseignant-chercheur à l’institut d’urbanisme et de géographie alpine, l’explique par 3 raisons :

  • L’économie hivernale est un secteur clé pour un certain nombre d’acteurs : immobilier, enseignement du ski, commerces et hébergements

  • Le tourisme et les sports d’hiver restent encore majoritairement valorisé et distinctif, qui sont eux-mêmes portés par des métiers que l’on considère comme “nobles” : moniteur de ski, pisteur-secouriste, conducteur de dameuses, qui sont elleux-mêmes porté⸱es par leur véritable passion pour la montagne

  • Aucune autre forme d’activité en montagne ne peut offrir un modèle économique aussi intéressant que les sports d’hiver

Pourtant, on ne cesse de le répéter : l’économie des sports d’hiver mènent à un certain nombre d’injustices socio-économiques et écologiques : l’accaparement de l’eau par des retenues d’eau pour la neige artificielle, l’artificialisation à outrance des paysages, l’insécurité immobilière des populations locales au profit d’un marché de résidences secondaires et de “lits froids” toujours plus chers, et enfin, un coût environnemental important quand on sait qu’une grande partie des touristes sont internationaux, le coût carbone de l’avion, mais aussi de la voiture pour les derniers kilomètres.

Transition enclenchée, pour “toujours plus” de tourisme

Lors de mes recherches sur le tourisme et l’économisation de la montagne, je suis tombée sur de nombreux écrits parlant de “transition”.

On parle d’abord de comment rendre plus écologique la station de ski, qui participe à un véritable greenwashing, et dans ce contexte je cite la tribune de Moutain Wilderness dans leur dossier n°12 :

Que pèse une dameuse à hydrogène par rapport à l’ensemble des impacts d’une station de ski (émissions de CO2 liées à la mobilité, terrassement des sols, consommation d’eau, destruction d’habitats naturels, etc.) ? Comment apprécier l’impact des actions de ramassage de déchets dans des événements sportifs accueillant plus de 10 000 personnes, venant du monde entier, pour fouler les plus beaux sentiers de montagne ? […] La transition écologique et l’adaptation aux changements climatiques sont même devenues des arguments pour faire perdurer le modèle existant.

Dans un second temps, je tombe sur une littérature foisonnante sur la transition en montagne pour parler de “diversification” des activités de montagne. Les idées sont présentées comme “innovantes” et durables. Mais vous le comprenez peut-être déjà… Comme dans le reste de l’économie, la montagne n’échappe pas à cette course technologique et solutionniste face au réchauffement climatique.

De plus, on parle de “diversification des activités” alors que lorsqu’on regarde de plus près l’économie des terrains de montagne, on note que les recettes sont plus élevées l’été que l’hiver. C’est bien qu’il y a déjà un tourisme d’été en marche, et ce depuis de nombreuses décennies, avec la randonnée, le canyoning, l’alpinisme, etc.

De la mono-activité à la diversification… à l’intérieur d’une mono-économie

Dans ces nombreux rapports, j’ai lu de nombreuses référence à Métabief : une station de ski jurassienne qui a entamé sa “transition” il y a déjà 5 ans après avoir mené une étude sur l’enneigement future de la station, et qui a obligé les décideureuses à anticiper le déclin.

Au programme : toujours plus du tourisme et d’investissement, mais différemment.

Les nouvelles tendances du bivouac et du VTT, loin de représenter une solution durable pour le tourisme en montagne, exacerbent plutôt les problèmes environnementaux et sociaux déjà existants.

Alors que le bivouac, autrefois pratiqué de manière respectueuse, devient de plus en plus populaire, ses impacts se multiplient : augmentation des déchets, perturbation de la faune locale, stress pour les animaux sauvages (là où ils pouvaient tranquillement cheminer la nuit, leurs espaces sont également de plus en plus fragmentés par la présence humaine nuit et jour) et dégradation des écosystèmes sensibles.

Le VTT, quant à lui, crée des conflits d'usage avec d'autres activités de montagne. Un boom de cette activité rendus possibles grâce aux vélos à assistance électrique (VAE). On aménage des pistes et bikeparks, toujours plus d’artificialisation.

Je continue avec Etienne-Pascal Journet - Délégué local Haute-Garonne/Ariège de Mountain Wilderness

Les parcours trail et tyroliennes géantes fleurissent et on ne compte plus les séjours yoga… L'offre couvre aussi les « instants privilégiés en famille », l'histoire, le patrimoine, les arts avec des rendez-vous festifs et culturels. On constate ainsi le soin des stations à afficher leur capacité à satisfaire tous les désirs de distraction de leur clientèle, hors activités sportives ou récréatives en extérieur. Même sans questionner l'authenticité des nombreuses initiatives locales ainsi valorisées, on peut identifier une course en avant vers plus de quantité dans le qualitatif.

On note une tendance même dans le trail à un détachement du concept de nature au profit d’une expérience consommatrice, note Camille Savre, docteure en anthropologie :

Dans le cadre de la pratique du trail que j’étudie, il apparaît que l’engagement dans le mouvement donne lieu à une attention portée sur le proche en formant un halo perceptif d’un rayon de quelques mètres autour du coureur. La modalité contemplative est alors une forme d’attention mineure dans leurs expériences. Qu’est-ce que cela dit du lien entre les traileurs et leurs environnements de pratique ? L’éloignement de la valeur esthétique, souvent accordée aux paysages montagnards, laisse-t-elle place à d’autres valeurs ?

Même les parcs nationaux, naturels et autres labels mènent à une économisation de cette nature. J’en parlais dans mon avant-dernière édition sur la nuit avec le label RICE mais c’est aussi le cas ailleurs.

Je cite ici Vincent Vlès, chercheur au laboratoire CERTOP CNRS de Toulouse :

La labellisation induit sur l’économie locale un « consentement à payer » 2 . On sait que l’investissement est faible et ses retombées importantes (ratios de 9 à 92 € de retombées par euro investi en Guyane ou à Port-Cros). Ici, la recherche a démontré ce que la labellisation donne en valeur économique aux lieux. Mais pour qu’il devienne ressource, le patrimoine naturel doit être activé, valorisé par les acteurs locaux (Vlès & Clarimont, 2017, Talandier, 2020).

L’article “Le tourisme ou la mort” l’édition n°2 de Nunatak, revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes, va plus loin :

Cette différenciation est liée, d’une part, à l’évolution historique des régions et de leur attrait, d’autre part, au zonage économique exercé par l’administration. Un décret peut « protéger » un territoire et en sacrifier un autre. En réalité, si les exploitations liées au tourisme diffèrent, c’est parce qu’elles s’entretiennent l’une l’autre. D’un côté, les infrastructures se développent pour vendre toujours plus l’accès aux loisirs et à la montagne aux différentes classes sociales. De l’autre, il est nécessaire de conserver certains aspects et de béatifier la « nature » pour faire rêver. La « puissance d’enchantement de l’industrie touristique repose sur sa capacité à faire oublier son caractère précisément industriel » . Si le tourisme fait système, c’est qu’il a permis de coloniser les zones de montagnes avec l’économie de marché. Soit en s’imposant, soit de la propre volonté des habitants.

Tourisme de masse VS écotourisme

Cette focalisation sur un tourisme de masse, perçu comme la seule voie économique possible, ignore le potentiel d'autres formes de valorisation de la montagne, telles que la mise en avant de son patrimoine historique, culturel, de son agropastoralisme et du savoir-faire local. Je lis encore trop d’incitation à un tourisme d’ “excellence” visant à mettre en avant la “valeur ajoutée” de la montagne et discutant de “gestion raisonnable de la ressouce” pour les “clients” futurs.

Le terme tourisme de masse apparaît et se diffuse de 1950 à 1970. À l’époque, on le considère plutôt comme un signe de grand succès et de progrès. Aujourd’hui on prend la mesure de son aspect délétère. « Le surtourisme est un sujet récent, l’overtourism apparaît en anglais en 1996, d’abord dans la sphère médiatique (Duhamel 2023), puis par les scientifiques surtout à partir de 2017 », précise Vincent Vlès, professeur émérite à l’université de Toulouse. « Ça fait parfois 40 ans qu’on trouve des éléments de fréquentation forte. La différence est que les sites surfréquentés se multiplient avec la massification de l’accès à la nature liée à la voiture individuelle, à la meilleure connaissance de l’accès aux sites, également à la puissance et l’efficacité des politiques de marketing territorial qui sont presque en contradiction avec la nécessité de protéger ces mêmes sites », analyse-t-il.

En face, se développe l’ “écotourisme” mais ce concept aussi n’est pas sans dommage : entre distinction sociale et greenwashing.

Avec les développements de l’écotourisme et la volonté de développer les activités en montagne quatre saisons par an plutôt qu’une seule, cette même industrie s’emploie à bouleverser ce qu’il reste des équilibres fragiles qui se sont constitués. C’est l’industrie de la détente qui sera ici à l’honneur. Tout un secteur de cette dernière est dédié à amener les flots de touristes, véritables soiffards de l’aventure, là où la présence humaine était suffisamment discrète pour que certains équilibres puissent à peu près se maintenir.

Source : Edition n°2 Nunatak “Activités de pleine nature”

Et cette surfréquentation a de nombreux impacts : érosion des sols, piétinement, biodiversité menacée, hyper vigilance de la faune, pollution du milieu, conflits d’usages entre activités pastorales et randonneurs, entre VTT et trailers, entre touristes et résidents, etc.

De même, la montagne devenue un “terrain de jeu” fait perdre la relation des humains à la nature.

Les populations locales et régionales sont trop souvent oubliées dans ce modèle de développement centré sur la consommation de la nature, au lieu de promouvoir une vision plus respectueuse et diversifiée de la montagne, qui ne la réduit pas à une simple ressource à exploiter.

Quid des populations locales et régionales ? Comment voir la montagne autrement qu’une ressource à vendre et consommer ?

Sortir du “terrain de jeu”

Une première réaction face à la sur-fréquentation sont des mesures soit restrictives soit de sensibilisation :

  • Mise en place de quotas journaliers

  • Interdiction de pratique comme le bivouac, ou fermeture d’un site comme la grotte de Lascaux

  • Mise en place d’éco-gardes (comme dans le parc national des Ecrins)

  • Des réservations en amont

  • Adapter les aménagements et construire des parkings éloignés des sites naturels, mise en place de navette

  • Des mesure de démarketing

Passer de l’attractivité à l’habitabilité

Sandra Stavo-Debauge, coordinatrice du dossier thématique n°15 de Mountain Wilderness “Toujours plus ? Changer notre rapport à la montagne”, abonde en ce sens : les politiques d’attractivités arrivent au bout.

Les politiques d’attractivité pour faire venir des touristes arrivent au bout, « on est en train de passer d’un paradigme de l’attractivité à un paradigme de l’habitabilité - aussi bien pour les vivants que pour les humains - », note Philippe Bourdeau qui relève que la notion du care s’étend à une mission territoriale. Nous sommes en pleine mutation sociétale et touristique avec un tournant culturel à opérer. « La coupure entre le mode de vie urbain, la nature en général et la ruralité en particulier, fait partie des questions à se poser. En termes de redirection sociétale, on travaille sur ce qu’on pourrait appeler l’écologie urbaine, c’est-à-dire rendre la ville la plus habitable possible, redonner de la présence à de la nature en ville, et ainsi moins susciter ce besoin de fuite ou de consolation en partant de la ville.

On revient à la revue Nunatak : “Le capitalisme a besoin d’un “dehors” afin de maintenir l’exploitation dans les grands centres de production” et “Comment les montagnes peuvent-elles devenir autre chose que des zones échappatoires pour salariés qui n’en peuvent plus de leur quotidien ?”.

Je finis sur les mots de Frédi Meignan, vice-président de Moutain Wilderness dans le même dossier n°15 de l’association :

« Et si cet attrait grandissant de la montagne était le signe d'une recherche vers de nouvelles manières de vivre : connectées aux éléments, plus proches de la nature, riches de sens ? Cette fréquentation croissante nous encourage à repenser nos manières d'accueillir en montagne. Faire découvrir, raconter, transmettre... De regards croisés avec les nouveaux publics pourraient naître de nouvelles perspectives pour nos montagnes. Sachons les saisir ! »

Imaginer un autre avenir pour nos montagnes

Il est impératif de sortir des logiques de tourisme de masse, en premier lieu arrêter les campagnes de marketing territorial agressives et envisager des alternatives pour un développement plus durables.

Cela passe par ses habitants et le collectif : la montagne doit être un territoire vivant. Il existe d’ors et déjà des “laboratoires récréatifs” dans les refuges, les cols ou le tourisme scientifique note Philippe Bourdeau. Ils sont “inveseurs de normes” et atténuent les politiques agressives de tourisme.

On note déjà une transition dans les pratiques touristiques : “un imaginaire lié au bien-être, au ressourcement dans la nature, aux pratiques contemplatives et à une relance du climatisme prend peu à peu le relais d’une conception traditionnelle surtout sportive et consumériste” affirme-t-il également.

Mais il faut aussi inciter à l’habitat permenant et réinverser l’exode rurale des années 1960. La montagne est un lieu dont la qualité de vue est exceptionnelle.

Ainsi, Philippe Bourdeau affirme “il ne faut pas seulement sortir de la dépendance à l’or blanc, mais bien de celle au tourisme lui-même”.

Mettre au coeur la lutte citoyenne

Dans ce contexte, les luttes et propositions citoyennes sont indispensables. Elles mènent à toujours plus de collectif, d’écoute et de bienveillance.

Ca passe par des contre-initiatives comme à la station de La Grave qui souhaite construire un nouveau téléphérique pour connecter la station à celles des Deux Alpes : le collectif local de Mountain Wilderness lutte pour faire abandonner le projet et propose de faire du glacier d’altitude un espace de découverte climatique. De nombreuses ZAD sont également en cours comme celle sur le projet de la 5e retenue d’eau de La Clusaz dont on a dévoilé récemment qu’ils ont pompé de l’eau illégalement pour la neige artificielle pendant plus de 20 ans !

Des projets comme Upossible ou la lutte de Itinéraire Bis qui accompagne les acteurices du tourisme à engager une médiatisation responsable et un démarketing territorial.

La montagne, terre de la pensée écologiste

Et puis, il est n’est pas sans rappeler que la montagne est le lieu par excellence pour une pensée écologiste. Historiquement, les montagnes ont toujours été vues par les écologistes comme des sanctuaires naturels à préserver, un amour né au XIXe siècle. On l’a vu, l'essor du tourisme de masse a entraîné des tensions, les écologistes s'opposant aux aménagements destructeurs comme les stations de ski. Aujourd'hui plus que jamais et plus qu’en plaine, les montagnes sont menacées par le changement climatique avec des drames récents d’effrondrement et d’inondations sans précédents.

C’est ainsi, peut-être, que nous sauverons la montagne : d’abord par la prise de conscience en abordant la montagne par un rapport expérientiel à la nature :

“Nous devenons la montagne”

Avez-vous déjà dormi en altitude ? L’expérience est unique. Le ciel n’a pas de limites. Le silence se remplit de présences furtives. Nos rêves se confondent avec les reliefs escarpés et les murmures du torrent en contrebas. Nos corps, eux, se remémorent leurs héritages sauvages. On oublie les différences entre les espèces. Lorsque l’aube secoue ses ailes et que la nuit soupire une dernière fois, les pierres se mettent à bruire de mille respirations nouvelles. Le monde renaît sous nos yeux. Encore quelques minutes et nous retrouverons des allures très humaines. L’air est cristallin. L’émerveillement continue. […]

On vit avec la montagne. Et puis, un charme supplémentaire agit. La montagne nous décentre à sa manière. Elle nous replace dans des échelles de temps fabuleusement larges. Elle était là bien avant nous.

Olivier Remaud dans le dossier n°15 Mountain Wilderness, p.18

Ou encore, Julie Auffray de “La Montagne conte” :

« Le temps long est clé pour changer notre rapport à la montagne, il permet de découvrir davantage et une disponibilité à la rencontre. Il y a le cheminement physique, mais aussi un cheminement de l’esprit : ces rencontres m’ont déplacée, au sens figuré, en me questionnant. »

Source : Dossier n°15 Mountain Wilderness, p.15

On a encore du chemin à faire

Pourtant dans Nunatak, on note le peu de profondeur de ces réflexions :

De nombreuses personnes vont en montagne avec un objectif : gravir tel sommet, réaliser tel tour, descendre telle rivière, etc. Ces séjours courts, parfois le temps d’un week-end, enrichissent les palmarès et les discussions au travail. Ces différents aspects interrogent sur le rapport aux espaces traversés et l’attention portée aux populations, humaines ou non, qui les habitent. La temporalité réduite des séjours ne permet pas réellement de se questionner sur les milieux visités, ni d’établir des liens et des rencontres qui permettraient aux touristes et aux hôtes de sortir de leur condition. Avec la « crise écologique », de plus en plus de personnes sont en recherche de « nature » et de « sauvage ». La fréquentation des zones préservées va logiquement aller en augmentant. Cet « appel du dehors », réaction saine aux modes de vie nés de la logique du capital, nécessite d’être entendu et tend vers des expériences nécessaires à la survie psychique de la plupart d’entre nous : « La wilderness [la nature sauvage, NdA] nous fournit l’illusion d’une échappatoire aux tracas et aux difficultés du monde dans lequel notre passé nous a consignés. » Mais ce n’est certainement pas par une « consommation de nature » que nous pourrons aller mieux. Les altérités auxquelles nous avons besoin de nous frotter ne se présentent pas sur commande, on ne peut les sentir proches qu’en passant des temps longs en montagne, non quadrillés par une activité de divertissement. Comment les montagnes peuvent-elles devenir autre chose que des zones échappatoires pour salariés qui n’en peuvent plus de leur quotidien ?

Disclaimer

Je vous vois venir et je le comprends. Dans cette newsletter, je dénonce les effets du tourisme consommatoire et la sur-fréquentation de montagne, mais attention, le tourisme de masse, c’est aussi la démocratisation de l’accès à la montagne.

Je ne veux pas tomber dans le panneau de la distinction sociale et stigmatiser les nouvelleaux visiteureuses de la montagne. Il y a un véritable enjeu à les accompagner par de la sensibilisation et les gestes que les initiés connaissent. Eviter la mise en danger inutile de soi-même (récemment, on a trouvé un randonneur sans crampon, sans eau et sac à dos glissant toutes les 2 secondes sur le glacier de l’Aneto! et c’est sans compter les nombreuses anecdotes de mes copaines en trek) par un sous-équipement ou la sous-estimation de la difficulté d’une ranndonnée, sur la gestion des déchets en bivouac ou en refuge, les baignades dans les lacs d’altitude, etc.

La montagne ne doit pas se réduire à un simple décor pour nos escapades de fin de semaine ou à une ressource à consommer pour apaiser notre esprit en quête de "nature". Pour en tirer un véritable enrichissement, il est essentiel de repenser notre manière de l'aborder, en privilégiant une approche plus respectueuse et immersive. Il s'agit de voir la montagne non comme une échappatoire temporaire, mais comme un espace d'altérité, de rencontres et de réflexions profondes, où le temps long permet de créer des liens véritables avec les lieux et leurs habitants. Seule cette transformation de notre rapport à la montagne pourra répondre à l'appel du "sauvage" tout en préservant les écosystèmes et les communautés qui en dépendent.

J’ai conscience que ma réflexion, une fois de plus, comporte des défauts. Et je serais heureuse d’avoir vos retours et vos réflexions à ce sujet. Je re-précise que je me situe du point de vue de la “touriste”, n’ayant jamais vécu en territoire de montagne ; même si c’est mon objectif de vie à terme.

Sur ce, je vous souhaite une belle fin d’été, et je vous dis à bientôt !

Laura

Ressources :

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