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Passage n°8 ⛰️Ce que fait le ski à nos montagnes
La montagne en hiver : déconstruire l'imaginaire, repenser nos pratiques

Hiver 1994, La Clusaz. Une station de ski de 1re génération, où les premiers skieureuses dévalaient les pentes dès 1907. C’est là que, haute de mes 6 mois d’existence, je rencontre la montagne.
Évidemment, je n’en ai aucun souvenir. J’ai découvert le ski bien plus tard. À l’époque, mes parents profitaient des offres du CE pour nous offrir une semaine à la montagne tous les deux ou trois ans. Une chance pour une fille née dans les Mauges, territoire rural au coeur des Pays de la Loire.
C’est à Piau-Engaly que remontent mes premiers souvenirs de ski. Une station pyrénéenne construite dans les années du "plan Neige", quand le ski semblait promis à tous les Français. On dévalait les pistes dans des combinaisons trop grandes, on chantait sur les télésièges, on se couchait le soir avec des étoiles plein les yeux.

Mon frère et moi, dévalant une piste sur une luge
Mais aujourd’hui, ces souvenirs d’insouciance me paraissent loin. Le ski alpin, qui était la promesse d’un hiver en montagne pour tous, est devenu un luxe réservé à quelques-uns. Seuls 9% des Français ont pris des vacances d’hiver l’année dernière.

Le ski alpin continue de dominer l’hiver en montagne, sur la saison 2021/2022 on a compté 53,9 millions de journées skieurs vendues en France. La France est d’ailleurs le deuxième pays derrière les Etats-Unis. Le ski alpin est partout : dans les stations, les pubs, l’imaginaire collectif.

Mais derrière cette omniprésence se cache une réalité un peu plus sombre : c’est aussi le sport qui laisse l’empreinte la plus lourde sur nos montagnes. Pour tracer ces pistes où l’on glisse, il faut déboiser, terrasser, aménager. Et pour garantir la neige, il faut produire, consommer, pomper.
En France, près de 300 000 hectares sont occupés par des pistes de ski, répartis sur 350 stations. La plupart de ces domaines s’implantent dans des zones naturelles particulièrement sensibles : 86% des stations se trouvent dans des forêts ou des milieux semi-naturels. Et tout cela alors même que la montagne se réchauffe deux fois plus vite que le reste du territoire. Ces aménagements ne peuvent donc pas être envisagés sans un sérieux questionnement.
Les impacts environnementaux et sociaux de cette industrie sont de plus en plus évidents. Alors, comment penser une montagne plus durable, moins dépendante du ski et du tourisme de masse ? Comment repenser son habitabilité à long terme, avec des solutions collectives et citoyennes qui prennent en compte ces nouveaux enjeux ?
Une activité aux multiples impacts
Accaparement de l’eau, artificialisation des sols, impact carbone ou encore pollution sonore et lumineuse, les impacts du ski alpin sont nombreux.
L’eau, une ressource sacrifiée pour l’enneigement artificiel
La neige, c’est de l’eau transformée en petits grains de glace par un processus de solidification. Pas besoin d’un cours de sciences pour comprendre que produire de la neige artificielle, c’est avant tout une affaire d’eau… beaucoup d’eau.
Samuel Morin, chercheur à Météo France, le dit bien : le manque de neige est un symbole criant du réchauffement climatique dans nos montagnes. Avec des hivers qui se réchauffent deux fois plus vite qu’en plaine, ce phénomène révèle une transformation profonde de nos territoires. Et face à ce défi, les enneigeurs incarnent une réaction typique : préserver l’économie touristique, sans remettre en question une activité qui impacte durablement nos montagnes.
Chaque année, 25 millions de mètres cubes d’eau sont transformés en neige artificielle. Une quantité colossale, qui souligne un enjeu crucial : celui de la gouvernance de l’eau, alors que cette ressource devient de plus en plus précieuse.
39% des pistes sont couvertes par des canons à neige
Les canons à neige, indispensables aux stations de ski pour garantir un tapis blanc sur toute la saison, consomment des quantités gigantesques d’eau : environ 12 litres par seconde, par canon. Sur une journée, c’est l’équivalent de la consommation en eau d’une petite ville qui part dans l’enneigement artificiel.
Des retenues collinaires qui pompent les nappes phréatiques
Pour alimenter ces canons, les stations misent sur des retenues collinaires, de grands bassins creusés dans la montagne. On imagine qu’elles se remplissent avec l’eau de pluie, mais c’est rarement le cas. À La Clusaz, par exemple, elles pompent directement dans les nappes phréatiques. Résultat : des zones humides détruites et un écosystème fragile qui pâtit de cette pression.
Le cycle de l’eau perturbé
Même si l’eau utilisée pour la neige artificielle finit par rejoindre les rivières au printemps, le cycle naturel de l’eau est perturbé. Par exemple, en pompant au printemps, une partie de l’eau s’évapore durant l’été, et il faut pomper de nouveau à l’automne, en pleine période d’étiage, où les niveaux d’eau sont au plus bas.
Ce détournement affecte directement la faune et la flore aquatiques. C’est un cercle vicieux : pour continuer à skier coûte que coûte, on épuise des ressources vitales, au détriment de tout ce qui fait la richesse des montagnes.
Quelques actualités :
L’emballement de la machine immobilière, injustice sociale et climatique
L’immobilier dans les stations de montagne, particulièrement lié aux résidences secondaires et aux projets touristiques, soulève des problématiques sociales et écologiques majeures.
La spéculation immobilière et la pression foncière entraînent une augmentation des prix des logements, rendant difficile l’accès à un logement pour la population locale.
Entre 2010 et 2024, des communes comme Chamonix, Morzine et La Clusaz ont perdu plusieurs centaines d’habitants en raison de la hausse des prix, qui avoisinent des niveaux proches de ceux de grandes villes comme Paris ; en témoigne une étude de Meilleurs Agents. L’étude note une moyenne de 6 608 € / m² dans les Alpes du Nord contre ~ 9 500 € à Paris, ou 3 500 € à Toulouse.

Ce phénomène est exacerbé par l’expansion des résidences secondaires, souvent inaccessibles pour les habitants permanents, et par les projets immobiliers qui ne répondent pas à des besoins réels, mais à une logique de rentabilité.
“Si l’hébergement est marchand, performant et qu’il répond à un besoin justifié de nouveaux lits, il participe au fonctionnement économique du territoire. Le bât blesse quand les promoteurs revendent de l’immobilier sec (sans obligation de commercialisation), ce qui contribue à augmenter artificiellement les prix, à chasser la population locale, sans participer à l’économie du territoire.”
Ces projets chassent les populations locales et contribuent à un découplage entre développement économique et réalité du marché du logement, exacerbant les inégalités sociales.
Injustice écologique
L’exemple de Risoul 1850 est un exemple parfait de la problématique de l’injustice écologique. Cette petite station de montagne qui compte déjà une quarantaine d’immeubles et de chalets pour environ 18 300 lits (80% sont des “lits froids” occupés moins de 3 semaines par an).
Parmi les projets anachroniques présents sur la commune, il y a celui du “Hameau des grands bois” : des immeubles de 7 étages, un parking de 770 places, 2 piscines extérieurs et une nouvelle route. Un projet dont les promoteurs immobiliers se sont vite emparés, dont les sociétés de Jean-Paul Schaeffer, magnat de l’immobilier alpin, dont ses 53 sociétés immobilières opèrent dans plusieurs stations de la région : Vars, Isola 2000 ou aux Menuires. Egalement acteur de l’hôtellerie, l’un de ses futurs hôtels se trouvera sur ce “hameau”.
Plusieurs impacts sont dénoncés :
Un défrichage de 8,7 hectares, dont les forêts abritent 28 espèces protégées d’oiseaux et 11 espèces protégées de chiroptères. La forêt est également un habitat favorable à la reproduction du tétras-lyre, espèce menacée d’exctinction.
Les risques de glissement de terrain accrues par les terrassements. Le “hameau” est construit sur une zone à risque.
L’approvisionnement en eau des hôtels et des 2 piscines posent problème : la commune est déjà en tension et aucun plan n’est prévu pour pallier ce problème.
L’imperméabilisation des sols
Un sol est imperméabilisé lorsqu'il n'y a plus d'échanges entre ses couches souterraines et aériennes, une situation causée par des aménagements ou des pratiques, comme certaines activités agricoles, qui le tassent et réduisent sa perméabilité.
C’est l’un des impacts de l’immobilier neuf et de l’augmentation du nombre de “lits froids” : on construit en bétonnant, c’est ce qu’on appelle l’artificialisation des sols. Mais ce secteur n’est pas la seule origine de l’imperméabilisation.
D’abord, reprenons les chiffres.
Le taux d’imperméabilisation du sol sur les stations de ski alpine est supérieure aux communes ne possédant pas de station, et même supérieur à la moyenne nationale. La partie Nord est particulièrement touchée, c’est là qu’on retrouve les plus grandes stations (Megève, Courchevel, Chamonix, etc).
Il existe évidemment la problématique des remontées mécaniques obsolètes, pour lesquelles l’association Mountain Wilderness mène des campagnes de désinstallation et de dépollution des territoires.
Mais plus encore, on oublie souvent l’impact même de nos pistes de ski. Lucas Benard-Chenu, post-doctorant à l’INRAE et au CEN de Météo-France nous le rappelle :
“Les pistes sont très travaillées par les exploitants pour faciliter le passage des skieurs, l’enneigement, etc. Ça se traduit par de l'épierrage, du nivellement des pistes, du ré-engazonnement, du déboisement…”
Ce travail de terrassement, que l’on peut toustes constaté sur les grandes stations l’été, laisse un écosystème affaibli et une biodiversité assez pauvre au fil des années.
Une biodiversité en danger
Sur les 184 stations de ski référencées pour l’analyse Datalab en 2017, 75% d’entre elles chevauche des aires protégées tels que des parcs nationaux, des sites Natura 2000, des réserves naturelles régionales, etc. On mesure le stress généré et l’impact sur la faune et la flore avoisinante.
Par exemple, dans les stations de ski, le tétras lyre, un oiseau classé vulnérable, est 49 % moins présent qu’en dehors de ces zones. Cela est en partie lié à la pratique du “hors-pistes” particulièrement présente autour des stations.
Concrètement, qu’est-ce qui impacte nos voisins non-humains ?
Pollution sonore
J’en parlais dans mon tout premier article sur Le silence en montagne, la pollution sonore est un paramètre important lié aux activités du ski alpin.
Un des symbôles de cette hyperconsommation bruyante de la montagne : le bar-club d’altitude, dont l’enseigne La Folie Douce s’en fait une fierté dans un magazine de droite, implanté dans pas moins de 7 stations. La franchise va même jusqu’à mettre en avant des concepts “écologiques” : produits français, vaisselle réutilisable, mégots de cigarette recyclés… Comme d’habitude, un bon greenwashing pour se déresponsabiliser de son impact direct sur le territoire sauvage.
C’est également un projet encore d’actualité malgré une forte mobilisation citoyenne, celui de tenir le festival électro Tomorrowland à l’Alpes d’Huez. Consommer la montagne, c’est bien le leitmotiv de ces lieux de fête.
Concernant la sécurisation des pistes, des tirs de gaz explosifs sont régulièrement réalisés pour éviter les risques d’avalanche.
Quant au trafic routier, il n’est pas en reste selon le programme WilderPass de l’association Mountain Wilderness, le bruit généré par le trafic impacte durablement et fortement la faune sauvage. L’utilisation des motoneiges, des 4x4, de motocross ou encore les hélicoptères sont également des loisirs généralisés dans certaines vallées alpines. Si tu veux en savoir plus, un peu de lecture dans ce dossier sur le silence et les loisirs motorisés.
Pollution lumineuse
Une fois n’est pas coutume, j’ai déjà parlé de pollution lumineuse dans un de mes articles précédents, en voici un court résumé.
De nombreuses recherches montrent que la lumière artificielle a un impact durable et direct sur la biodiversité. Certaines espèces, attirées par la lumière, s’épuisent près des lampadaires, provoquant une surmortalité, tandis que d’autres fuient les sources lumineuses, désertant leurs habitats et appauvrissant la biodiversité locale. Les oiseaux migrateurs, désorientés par la luminosité urbaine, subissent des accidents, comme des collisions avec des immeubles. La pollution lumineuse perturbe également la reproduction, l’alimentation, les déplacements et la communication de nombreuses espèces animales, ainsi que les cycles de croissance et de floraison des plantes.
Impact carbone
Je parle peu de l'impact carbone, car il me semble qu'on s'y focalise tellement qu'on en oublie les autres formes de pollution. Cette obsession invisibilise des enjeux tout aussi cruciaux, comme l'artificialisation des territoires ou la pollution directe de nos rivières par les déchets.
Alors voici, pour information, une infographie réalisé par le think thank Utopies. Parmi les chiffres importants : 52% de l’impact carbone est lié aux transports (en majorité voiture individuelle).
Au-delà de cette infographie, on pourrait noter l’utilisation très régulière de camions pour ramener de la neige des hauteurs pour alimenter les pistes. C’était le cas récent du Grand Bornand pour la coupe du monde de biathlon, mais ils ne sont pas les seuls !

Enfin, et pour enfoncer le clou, on note que plus de 120T de déchets par an sont jetés dans nos montagne, selon l’Ademe.
Une mono-économie qui piège les vallées
La mono-économie du ski est un piège pour les habitants. J’en parlais précédemment sur ma newsletter sur le tourisme. Et je vous invite donc à la lire !
Le modèle de développement des sports d’hiver et le lien qu’il entretient avec son territoire de montagne reposent encore sur l’idéal productiviste qui l’a vu naître : l’exploitation intensive et monospécialisée du produit neige.
A l’inverse, certaines stations de ski ont dû brutalement fermé face au manque cruel de neige que l’enneigement artificiel ne pouvait pallier. Face au manque d’anticipation et de projet de transition, les habitants se sont trouvés piégés dans une économie locale plus qu’en berne. C’est le cas de la station Alpe du Grand Serre dont Mountain Wilderness fait l’écho ici.
Florilège de projets hors normes et anachroniques
Parce qu’on ne rigole pas assez dans cet article, voici un petit florilège de projets encore en cours dans nos montagne :
Un refuge de montagne transformé en hôtel de luxe avec piscine chauffée et accès par 4x4 ou motoneige, projet d’un milliardaire bien connu à Méribel : https://www.mountainwilderness.fr/projet-teleporte-la-morte
Parler d’ “ascenseur valléen” pour parler d’une nouvelle remontée mécanique concernant une station en très grande difficulté : https://www.mountainwilderness.fr/projet-teleporte-la-morte
Une piste de ski en plastique dans la station d’Artouste : https://alpinemag.fr/montagne-disneyland-piste-ski-synthetique-artouste-pyrenees/
Le projet Ski-Line de Tigne : une piste de ski “indoor” avec canons à neige, remontées mécaniques et piscine : https://www.fne-aura.org/actualites/region/ski-line-a-tignes-jusquou-iront-ils/
Le projet T3 de La Grave, un 3e téléphérique projetant d’emmener des piétons encore plus haut en altitude https://www.mountainwilderness.fr/retour-sur-historique-t3-la-grave
Toutes les affaires d’accaparement de l’eau, que ce soit à La Clusaz ou Courchevel
Horizon JO 2030
Les Jeux Olympiques d'hiver 2030, prévus en France, soulèvent de nombreuses interrogations sur leurs promesses économiques et leur impact environnemental. Si les arguments officiels vantent leur potentiel de création d'emplois et de développement territorial, un examen attentif des précédentes éditions et des éléments du dossier révèle une réalité bien différente.
L'argument économique : un mirage souvent dénoncé
Le communiqué de presse de la région Auvergne-Rhône-Alpes promet 50 000 emplois grâce aux JO 2030. Cette annonce s’appuie sur une étude réalisée par le cabinet Astérès, dont la méthodologie et l'indépendance suscitent des doutes. Ce cabinet avait déjà été critiqué pour des études jugées biaisées, notamment sur l'impact d'Uber en France. Ces projections optimistes reposent sur l'idée du "ruissellement économique", une théorie régulièrement infirmée dans divers secteurs.
Les exemples passés, notamment les JO d’Albertville en 1992, montrent un autre visage : des coûts exorbitants, un déficit de 288 millions de francs absorbé par l'État et les collectivités locales, et une augmentation de la fiscalité pour les habitants. De plus, l'entretien des infrastructures construites pour les JO, comme la piste de bobsleigh de La Plagne ou la patinoire de Pralognan, continue de grever les budgets locaux des décennies après l'événement. "On nous promet toujours des miracles économiques, mais ces promesses ne tiennent jamais face à la réalité," critique le chercheur en économie des sports Jean-Michel Roux.
Un développement territorial à double tranchant
Certes, les JO ont laissé des infrastructures durables, comme la rénovation de quartiers à Grenoble en 1968 ou la création de nouvelles voies de transport dans la Tarentaise en 1992. Cependant, ces investissements se sont souvent accompagnés d'une sur-dépendance au tourisme et au ski, un modèle économique de plus en plus fragile face aux défis climatiques et à la raréfaction de la neige.
En 2030, le projet prévoit de "recycler" des infrastructures existantes, comme le grand tremplin de Courchevel, qui nécessite néanmoins des travaux à hauteur de 20 millions d'euros pour être adapté aux standards modernes. L'accessibilité aux sites olympiques reste un défi majeur, notamment dans des zones comme Gap et Briançon, où les contraintes géographiques rendent toute amélioration des transports extrêmement coûteuse et écologiquement dommageable. "C'est un gouffre financier qui ne profitera pas aux habitants permanents," déclare Anne-Laure Garnier, urbaniste spécialisée dans les territoires de montagne.
Une gouvernance opaque et politisée
La candidature conjointe des régions Auvergne-Rhône-Alpes (AURA) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) témoigne également d'une gouvernance marquée par des rivalités politiques. Le maire de Nice, Christian Estrosi, pousse pour la construction de nouvelles infrastructures dans sa ville, tandis que Laurent Wauquiez et Renaud Muselier défendent des visions parfois contradictoires. Cette fragmentation politique risque de nuire à la cohérence globale du projet.
De plus, la gestion des JO 2030 semble déjà marquée par des pratiques clientélistes, à l’image des 90 millions d’euros injectés par Laurent Wauquiez dans l’industrie du ski en 2016. "C'est toujours les mêmes qui tirent profit de ces événements : les grandes entreprises du BTP et les promoteurs," observe Delphine Petit, membre du collectif Montagnes en Transition.
Un modèle à réinventer
Les Jeux Olympiques d'hiver 2030 s'inscrivent dans une logique de court terme, axée sur le "tout-ski" et le tourisme de luxe. Pourtant, cette stratégie semble de plus en plus déconnectée des réalités climatiques et économiques.
Comme le souligne Delphine Larat, porte-parole d'une commission indépendante, "l'enfermement dans un schéma de développement économique pour 20 à 30 ans est une aberration". Les défis écologiques et sociaux nécessitent de repenser en profondeur le rôle des grandes stations de ski et d'explorer des alternatives durables.
"Il ne s'agit pas seulement de dire non aux Jeux, mais de construire une autre vision pour les montagnes," conclut Camille Bernard, militante écologiste et autrice de "Montagnes vivantes". Les JO 2030 pourraient être l’occasion de repenser le modèle économique des montagnes françaises. Mais pour cela, il faudrait sortir des logiques court-termistes et politisées, et adopter une vision à long terme véritablement durable et inclusive.
Une pétition est en cours, menée par le collectif citoyen NO JO!, à signer par ici.
Deux ressources ont alimenté cette partie, et je vous les recommande. D’abord, le livre de Fiona Mille, récemment sorti : Réinventons la montagne - Alpes 2030, un autre imaginaire est possible. Et ensuite, je vous invite à écouter Secrets d’info - Derrière les JO de Paris, les jeux d’hiver de 2030.
Et l’avenir ?
La mention de “parc d’attractions” est souvent revenue dans mes recherches sur le sujet, y compris dans la bouche d’un skieur répondant aux questions de la journaliste de La Terre au Carré, alors présente sur les pistes de Cauterets pour un micro-trottoir.
Malgré les tentatives de campagne de communication maladroites, on ne s’y trompe pas : le tout-ski n’est pas soutenable sur le long-terme, et encore moins écolo malgré les efforts proposés par les stations de ski.
On note l’ironie dans la campagne de Chamonix-Mont-Blanc pour cette saison :

Pour ajouter à cette problématique orienté greenwashing, Léa Sallenave a réalisé sa thèse de géographique sur l’imagerie publicitaire. Elle a analyse les publicités des stations de sports d’hiver alpines (2018-2021) et a mis en lumière des représentations normées et stéréotypées.
Ces visuels mettent en avant des paysages idéalisés, la pureté de la nature et des personnages perçus comme blancs, privilégiés et en bonne santé. Les espaces sont genrés : les hommes incarnent l’aventure et la verticalité, tandis que les femmes sont associées au bien-être et à des postures passives. Malgré quelques exceptions, ces images reflètent des normes dominantes qui façonnent les imaginaires spatiaux.
C’est également le cas avec le détournement linguistique de la neige artificielle. Attention, on ne dit plus “canon à neige” mais “enneigeur”, non pas “neige artificielle” mais “neige de culture”.
En terme de transition, on est loin d’arriver au compte. Malgré des initiatives de transition, elles restent souvent tournées vers le “tout-tourisme” comme j’en parlais dans mon édition sur le tourisme.
Pas de redite, mais je citerai simplement cette étude de Vincent Vlès, « Anticiper le changement climatique dans les stations de ski : la science, le déni, l’autorité » :
Face à l’aléa d’enneigement et aux difficultés financières récurrentes, les chercheurs ont montré que la quasi-totalité des stations de « moyenne montagne » reste néanmoins rivée à la pérennisation coûte que coûte du produit neige de ski alpin comme moteur de l’offre, de nouveaux modèles ne leur permettant pas de faire face à la concurrence qui s’exacerbe.
[…]
En remettant la recherche au centre du débat participatif citoyen, on fait le pari de restaurer l’autorité cognitive du chercheur et la confiance dans le citoyen dans la décision. L’enjeu est d’éviter que les sports d’hiver restent dans une perspective confinée, « jusqu’au-boutiste », qui rappellerait furieusement celle qu’envisageait dès 1958 le philosophe Gilbert Simondon pour expliquer l’aveuglement des sociétés technicistes. Pourquoi tant d’aveuglement apparent chez les décideurs locaux ? Parce qu’ils sont réalistes, sans doute ; la fin du ski alpin, c’est un peu comme la fin de la métallurgie de l’aluminium dans les Pyrénées : un désastre industriel, sans solution alternative réelle actuellement. Le modèle de la station fordiste irait alors jusqu’au bout de ses possibilités et ne se transformerait que lorsqu’il sera devenu incompatible avec lui-même, c’est-à-dire trop tard. Une autre voie pourrait se dessiner, voire paraît se dessiner dans certains territoires des Pyrénées, la voie d’un espace résidentiel générant une économie présentielle (et non pas touristique) à partir de communications efficaces, y compris numériques, les services publics et notamment la santé ; le changement climatique, en ce qu’il aurait de plus doux (hivers plus doux et donc plus économes en énergie, été plus frais qu’ailleurs, potentiel d’accueil immobilier aujourd’hui mal utilisé, voire gaspillé, qualité de vie) peuvent très bien accréditer l’idée de ce modèle résidentiel pour des retraités, certes, mais également pour de jeunes actifs pour le télétravail, pour la santé, etc. Ces alternatives, peu ou pas présentées dans le débat démocratique, maintiennent l’aliénation des sociétés locales à l’objet technique ski comme unique recours et freinent la station de ski alpin à entrer en transition ; ce que nous apprennent les recherches pyrénéennes sur les sports d’hiver, c’est que cette réticence est plus une résultante d’un rapport éthique que les humains entretiennent avec leur objet « domaines de sports d’hiver de montagne » qu’un déni du phénomène de réchauffement global de la planète. Cette aliénation relève essentiellement d’une méconnaissance du fonctionnement des outils de production et surtout de la croyance en leur toute-puissance pour résoudre tous les problèmes. La fuite en avant dans l’équipement en neige de culture relève du même phénomène d’aveuglement, le court terme oblitérant totalement le long terme.
Autres activités en montagne l’hiver
Si le ski alpin symbolise les “vacances à la montagne” l’hiver, il existe toute une panoplie d’autres activités outdoor. Il existe donc des voies d’exploration, un tourisme plus “responsable” mais co-existant avec l’habitabilité du territoire.
Ski de randonnée, raquettes à neige, balade en traîneau, igloo et bivouac hivernaux… Autant d’activités qui méritent cependant de rester vigilant.
Pour les balades en traîneau, il s’agira principalement de vérifier le bien-être animal, quant au ski de randonnée à veiller d’éviter les territoires d’oiseaux particulièrement fragiles en hiver, comme le Grand Tétras qui loge dans les sous-bois. Un dérangement pourrait lui coûter la vie !
Quoi qu’il en soit, il est important de conscientiser que notre passage en montagne a un impact. Faisons en sorte de le minimiser au maximum.
Mobilisations citoyennes et locales
Parce qu’au gré de mes lectures, je suis tombée sur de nombreuses initiatives locales et citoyennes, parfois gagnantes contre des projets monstrueux, parfois toujours en cours de lutte.
Je vous incite à connaître ceux de vos coins, et peut-être d’y apporter votre soutien (par votre temps, ou votre argent) !
Alpes
La Morte Vivante qui a lancé une cagnotte pour ouvrir son tiers lieu
Alpe Du Grand Serre Demain, qui lutte pour l’avenir économique de leur station
Stop Tomorrowland Alpe d’Huez qui s’oppose à la tenue annuelle de la version hivernale du festival électro Tomorrowland
Les Escartons Autrement, un collectif contre la bétonisation des terres et le mal logement des Briançonnais
Collectif NO JO! contre la tenue des JO 2030 dans les Alpes
La Grave Autrement, qui a gagné contre le projet T3 La Grave et continue ses actions pour une montagne plus juste et écolo
Pyrénées
Cauterets Devenir, collectif citoyen local qui lutte actuellement contre le projet de micro-centrale du Cambasque
Collectif Stop Aux Camions en Aspe qui se mobilise contre le trafic routier toujours plus intense dans la vallée
Et certainement plein d’autres… N’hésitez pas à me partager celles que vous connaissez.
Au niveau personnel, je continue de croire en la force de l’énergie citoyenne qui se dégage du collectif. Se retrouver et parler, nous rend plus fort face à des projets écocides, injustes socialement et des décideureuses qui ne nous écoutent pas, ni celle de l’urgence climatique.
Le mouvement des Soulèvements de la Terre donne un nouveau souffle. Alors, luttons, à notre échelle, selon nos moyens : temporels, financiers, et selon notre santé mentale.
Je termine ma réflexion avec une citation du magnifique ouvrage Rendre le monde indisponible :
Le drame du rapport moderne au monde se reflète dans notre rapport à la neige comme dans une boule de cristal : l’élément culturel moteur de cette forme de vie que nous qualifions de moderne est l’idée, le voeur et le désir de rendre le monde disponible. Mais la vitalité, le contact et l’expérience réelle naissent de la rencontre avec l’indisponible. Un monde qui serait complètement connu, planifié et dominé serait un monde mort.”
Et surtout, n’oubliez pas de prendre bien soin de vous en cette période de fin d’année. 💫
A bientôt,
Laura
Sources
J’ai cité la plupart des sources dans le texte. En voici les principales :
Fiona Mille - Réinventons la montagne : Alpes 2030, un autre imaginaire est possible
Les différents dossiers thématiques de Mountain Wilderness
Les enquêtes Blast de la série “La montagne dans tous ses états”
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